Vitrine 2 – La Hulpe

Le Dolce, un hôtel accueillant, également pour la nature

Se promener aux alentours de l’hôtel du Dolce permet d’y découvrir une forêt feuillue diversifiée avec des arbres aux dimensions incroyables. Certains sont morts ou sénescents* mais contribuent encore à un paysage naturel unique, particulièrement accueillant pour la biodiversité forestière.

Fille de Soignes, la forêt du Dolce a de quoi rendre jalouse la hêtraie cathédrale

En bordure de Bruxelles et en connexion avec la forêt de Soignes, le Domaine du Dolce s’étend sur près de 76 hectares dont un peu plus de 60 hectares encore boisés aujourd’hui. C’est une forêt feuillue ancienne reconnue très tôt pour son intérêt biologique et paysager puisque l’ensemble de la propriété est classé comme site patrimonial dès 1971 (Classement du Domaine du Longfond par arrêté royal du 25/11/1971). Cette prise de conscience précoce n’a pas empêché la construction en 1973 du vaste centre de conférence par l’entreprise IBM au beau milieu des bois. Etonnamment, la désignation du réseau Natura 2000 a complètement évité la propriété puisque celui-ci se déploie tout autour du Domaine. Dans les années 2000, le site est racheté et entièrement rénové pour devenir l’hôtel Dolce qui a ouvert ses chambres et nombreuses salles de réunions en 2006. Dans le même temps, le site est ouvert aux promeneurs qui peuvent désormais profiter des nombreux chemins forestiers. Depuis la construction en 1973, on n’a heureusement plus touché à la couverture forestière sur le site. En se rendant au Dolce aujourd’hui, on a donc un peu l’impression de partir en forêt.

Une gestion délicate et attentive

Antoine Moureau et son entreprise de grimpeur élagueur ‘AB Treeworkers’ arrivent sur le site en 2011. A l’époque, la société propriétaire cherche quelqu’un pour entretenir le domaine boisé avec un objectif pas toujours simple à suivre : protéger la biodiversité et sécuriser les accès tout en garantissant l’aspect esthétique du lieu. Après la construction des bâtiments dans les années 1970, la forêt n’a pratiquement plus été exploitée. La forêt qu’Antoine découvre est pour lui un coup de cœur : des vieux arbres et des peuplements sur-âgés, parfois en phase d’écroulement. Son moteur à lui est une envie de sensibiliser à la forêt naturelle où la vie sauvage a toute sa place. Devenu au fil du temps le « forestier » du site, Antoine s’attèle à observer les arbres bordant les chemins pour détecter les premiers signes de faiblesse, intervenir à temps et limiter les interventions aux arbres et branches réellement dangereux. Il grimpe volontiers à la corde dans ses géants qu’il admire, sans grimpette (renfort métallique qui permet à un grimpeur de prendre appui sur l’écorce) pour ne pas abîmer l’arbre. Dans son équipement, une tronçonneuse électrique permet d’intervenir en toute discrétion. Le bois coupé est simplement laissé au sol à l’écart des chemins. Dans certains cas, l’intervention est plus radicale avec un étêtage complet d’arbres morts ou dépérissants parfois à 10 mètres de hauteur pour conserver plusieurs dizaines d’années encore le fût dépourvu de prise au vent.

Plus loin dans les parcelles, la dynamique naturelle fait son œuvre en totale autonomie. Les épisodes de sécheresse et les attaques de scolytes des dernières années ont fait monter la mortalité allant parfois jusqu’au dépérissement de peuplement entier, notamment chez les épicéas. Ces évolutions, parfois brutales, questionnent forcément les choix réalisés jusqu’ici. Même Antoine se demande par moment si l’écroulement en cours va s’arrêter. Après les frênes (Fraxinus excelsior), ce sont les hêtres (Fagus sylvatica) qui souffrent énormément en ce moment. D’autres dépérissements sont observés sur des érables (Acer pseudoplatanus) et même des chênes (Quercus spp.). En sous-bois la régénération se développe avec une densité très forte par endroit. La reconfiguration de la forêt est en cours. D’ici quelques dizaines d’années, Antoine pense que le paysage forestier va encore fortement évoluer : fin des résineux, régression importante du hêtre, densité encore plus importante d’arbres matures entourés par de nombreux arbres morts debout et couchés mais aussi une régénération dense qui prendra progressivement sa place. On verra aussi le retour d’autres essences forestières comme le merisier (Prunus avium) et d’arbustes comme l’if (Taxus baccata) et le houx (Ilex aquifolium). On revient petit à petit vers un peuplement plus naturel, moins guidé par le marteau du forestier.

L’effort de lâcher prise doit se poursuivre et percoler à tous les niveaux. C’est maintenant que cette forêt commence à se différencier en offrant une diversité d’habitats naturels toujours plus grande. Il faut donc garder le cap et faire comprendre à chaque personne s’interrogeant sur le paysage qu’il découvre que celui-ci est le résultat d’une orientation consciente riche en biodiversité et pleine de promesse pour les années à venir. Tout le contraire d’une simple négligence qu’un œil trop rapide pourrait retenir. A son échelle, Antoine participe à ce changement de regard sur la forêt. En conviant régulièrement des groupes pour découvrir la forêt, la faune et la flore qui l’occupent. On l’interpelle aussi souvent quand il est en action dans un arbre le long des chemins. Il explique les interventions ciblées, en profite pour informer sur la nécessité de rester sur les chemins et de garder les chiens en laisse.

Une réponse naturelle riche en espèces

Déjà aujourd’hui, la forêt du Dolce est un lieu exceptionnel pour la plupart des pics indigènes, on y entend régulièrement les cris bien reconnaissables du pic noir (Dryocopus martius). Le pigeon colombin (Columba oenas) qui profite des cavités de pics et d’autres cavités naturelles nombreuses dans cette zone, y est également particulièrement abondant. Les mycologues ne s’y trompent pas non plus car ils viennent régulièrement y observer une communauté de champignons abondante et diversifiée. Abondance de la matière organique dans les sols, densité des arbres dépérissants ou morts, diversité des essences forestières et des conditions stationnelles mais aussi absence d’exploitation impliquant des tassements de sol sont autant de conditions favorables qui font du site un haut-lieu pour observer les champignons mais aussi les insectes xylophages. Les chauves-souris sont également bien présentes grâce aux nombreuses chandelles aux écorces à moitié détachées sous lesquelles elles peuvent trouver abri.

Un plan de gestion pour garder le cap de la biodiversité forestière

Tout n’est pas rose pour autant sur le site du Dolce en matière de biodiversité, la présence d’espèces exotiques envahissantes est notamment assez préoccupante. Ainsi le rhododendron pontique (Rhododendron ponticum) est hors de contrôle sur une partie du site tandis que le tamia de Sibérie (Tamias sibericus) y est aussi bien à son aise. Ce rongeur, lâché dans la nature par des détenteurs blasés, est désormais plus abondant que l’écueil roux et sert de réservoir important à la bactérie Borrelia burgdorferi responsable de la maladie de Lyme. De même, une gestion extensive (fauche avec exportation) des clairières forestières serait à réaliser pour y favoriser une végétation plus diversifiée. Agir sur ces différents points dans le cadre d’un plan de gestion du cadre naturel et paysager pourrait encore venir renforcer la valeur naturelle de ce site exceptionnel.

La gestion douce menée jusqu’ici porte donc particulièrement ses fruits. Il est salutaire de découvrir des sites comme le Dolce où l’on renonce à la production de bois car ils permettent d’observer des paysages forestiers hors du commun. Bien plus qu’une non gestion, il s’agit en réalité d’accompagner la cohabitation harmonieuse entre un public nombreux et un espace naturel sensible en plein redéploiement autonome.

Avec quelques efforts supplémentaires notamment de la part des promeneurs (rester sur les chemins, tenir les chiens en laisse, éviter les jours de grand vent) et en maintenant l’orientation de gestion actuelle, on pourrait imaginer y voir revenir des espèces comme le blaireau (Meles meles) ou des oiseaux comme le grand-duc d’Europe (Bubo bubo) ou le grand corbeau (Corvus corax). Tout cela à quelques kilomètres du centre de la capitale.

 

 

Lexique :

* Un arbre sénescent est un arbre en phase de vieillissement. Au-delà d’un certain âge qui est fonction de l’essence et des conditions stationnelles, l’arbre va ralentir sa croissance et on verra apparaître du bois mort, des décollements d’écorce et même de petites cavités dans son houppier et sur ses branches. C’est à ce stade que les choses intéressantes commencent pour la biodiversité forestière puisque toutes ces irrégularités sont autant de “dendro-microhabitats” occupés par des espèces très variées. On dit aussi d’un arbre sénescent qu’il « ravale » à l’image de ces vieux cerfs dont la ramure se fait plus irrégulière et se réduit progressivement. La sénescence rassemble les différents stades de vieillissement depuis l’arbre vigoureux qui montre les premiers signes d’affaiblissement jusqu’à la quille démembrée qui conserve uniquement une ou deux branches vivantes. C’est cette diversité de stades présents chez plusieurs essences forestières qui garantit le meilleur potentiel d’accueil de la biodiversité forestière.

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