Quelques mots d’un rêveur heureux au pied de son arbre

J’ai le plaisir de vous partager ces quelques mots reçus d’un amoureux des arbres, après le spectacle de la chute de l’un d’eux lors de la dernière tempête

 

Un arbre est mort

Un arbre est mort. Accroché fragilement aux cailloux de la Calestienne, il n’a pas résisté à une violente tempête en ce début janvier 2025.

Il devait avoir au moins 150 ans. Il devait mesurer au moins 100 pieds de haut, et son houppier devait bien occuper 200 m2.

Il va laisser un grand vide autour de lui. 200m2 de vide. Bien sûr, il a déjà donné naissance à une sacrée descendance de semis naturels, les plus beaux, les plus forts, qui à présent vont foncer vers la lumière salvatrice.

Mais ce jour n’est pas à la course, mais au recueillement. Si soudain, inattendu, c’est arrivé si vite. Lui qui m’inspirait la patience, la douceur, la confiance, une forte vitalité empreinte de raffinement, de joie et aussi de féminité. Lui qui a vu passer les guerres, les ennemis, mais les amis aussi, qui a vu le climat se bouleverser en quelques décennies, lui qui a besoin de ses 400 à 500 litres d’eau quotidien au plus fort de l’été, et qui avec ses racines si peu profondes dans cette Calestienne hostile, devait trouver les astuces pour faire face à ces changements qu’il n’avait pas demandés. Ainsi, je me souviens une année, il a carrément lâcher une bonne partie de ses feuilles en plein été, pour éviter de continuer à transpirer , le malin. Autant se foutre à poil, c’est une question de survie, pas de complexe…ou encore une autre fois, je me souviens un début d’automne. Il pleuvait bien depuis quelques heures, et je devais être le seul à me balader, et m’arrêter pour l’observer. Et là, je vis ses branches primaires supérieures, se tendre vers le ciel, avec ses feuilles, telles des centaines de petites mains récoltant toutes ces gouttes salvatrices, ruisselant le long des branches, vers le tronc. Et là, telle une grande gouttière, une grande descente d’eau, en m’approchant du pied de l’arbre, je vis cette eau descendre d’entre les racines, comme pour aller remplir des citernes imaginaires, mais à mon avis, pas du tout si imaginaires que cela. Cette eau pénétrait bien dans le sol, pour inonder celui-ci au droit du tronc. Mais que c’est génial. Bravo mon arbre me dis-je.

Mais aujourd’hui, il est mort.  Et quand un arbre est mort, ce qui est magique, c’est qu’il y a toujours une 2ème vie pour lui, et encore une 3ème vie pour l’espace rendu libre. En quelques années, couché tendrement sur l’humus frais qui l’attendait, il va se décomposer, il va nourrir, il va abriter. Cette mort brutale devient finalement douce. Quant aussi tout autour de lui, tel un accompagnement amoureux, ses enfants et même petits-enfants vont croître, en même temps que d’autre végétaux, et d’autres animaux aussi, qui avaient déserté l’endroit depuis des années, et qu’ils retrouvent avec joie aujourd’hui, car un nouveau milieu est proposé à la vie.

Ainsi en va-t-il de la perte d’un hêtre cher, les larmes de tristesse doivent devenir joie. Comme nous les humains, toi mon hêtre profond, tu es un maillon de cette merveilleuse chaîne du vivant. Je m’incline, je me sens tout petit et je te dis merci.

Philippe Roisin, Domaine Saint-Roch à Couvin, le 20/01/2025